Les droits de l’apprenant

Lors de la première session de coaching LI-VE, j’ai présenté les droits de l’apprenant aux participants. J’ai pensé que ça pourrait peut-être vous intéresser.

J’ai toujours vu la rentrée scolaire comme une opportunité de repartir à neuf. C’est la période de l’année scolaire où tout est à créer et où tout est (encore) possible. Espoir. On espère qu’on aura un beau groupe ou une belle équipe. On espère qu’on va aimer notre année. On espère que les apprenants qui nous sont confiés vont apprendre… C’est le défi ultime de l’éducation : qu’il y ait apprentissage. Je me demande ce que les apprenants espèrent, eux, à la rentrée… Depuis plusieurs années déjà, il est question de viser l’apprentissage en profondeur. Avec la pandémie, il est aussi question de bien-être, de bienveillance, d’équité et d’inclusion. L’inclusion. On veut inclure les personnes. Mais en éducation, à mon avis, l’inclusion ultime, c’est l’apprentissage pour tous. Je pense qu’il est raisonnable d’affirmer que dans toutes les classes, il y aura de l’enseignement cette année. C’est quand même assez simple (je ne dis pas facile) à faire. On enseigne des concepts, on assigne des tâches, on les corrige… Notre défi, c’est d’inclure l’apprentissage pour tous. Ça, ce n’est pas aussi simple. Or n’est-ce pas cela, le changement de paradigme en éducation? Passer de l’enseignement à l’apprentissage… Je pensais à des pistes pour y arriver dernièrement et je me disais que si nous étions vraiment sérieux à l’idée d’inclure l’apprentissage, tous les apprenants auraient le droit d’apprendre. Au Canada, par exemple, nous croyons que la liberté des citoyens est importante. Alors tous les citoyens ont des droits et des libertés. Présentement, tous les apprenants ont droit à l’enseignement dans nos écoles. Or combien n’ont pas suffisamment accès à l’apprentissage? Voici donc les droits de l’apprenant.

1. Droit qu’on croie en moi

Lors d’un évènement en Californie il y a quelques années, un homme d’une cinquantaine d’années, formateur de leadership en entreprise, me disait que son enseignante de 3e année avait changé sa vie. Il ne se voyait pas comme un bon élève. Il avait même des difficultés à l’école. Un jour, son enseignante lui a remis son travail. À sa grande surprise, il avait très bien réussi. Son enseignante lui avait jeté un regard qui voulait dire «Je te l’avais dit que tu étais capable!» La puissance du regard. L’homme en question me disait que c’est ce moment qui a tout fait basculer pour lui. Lorsque quelqu’un croit en nous, ça nous permet parfois d’exprimer un potentiel qu’on ignorait avoir. Si nous souhaitons vraiment inclure l’apprentissage, les apprenants ont droit d’avoir accès à un adulte qui croit en eux. Après tout, quelles sont les chances d’apprentissage d’une personne si son enseignant ne croit pas en elle? Le regard, les amis.

2. Droit qu’on mette en valeur ce que j’ai à offrir

Les apprenants qui nous sont confiés ne sont pas des vases vides à remplir. Ils ont des aspirations et nous avons le privilège de les aider à devenir qui ils sont. Pour mettre en valeur ce que les apprenants ont à offrir, il faut s’intéresser à eux. Après tout, on enseigne quelque chose, à quelqu’un. Et ce quelqu’un est ce qui compte en matière d’apprentissage. Un principe important en leadership, c’est que les gens soutiennent ce qu’ils créent. D’où l’importance d’impliquer les gens. Pour qu’il y ait apprentissage, il importe d’impliquer les apprenants. L’engagement. Une façon très efficace pour susciter l’engagement de l’apprenant, c’est de l’aider à voir le lien entre le contenu et son identité actuelle ou future. Est-ce qu’il y a une place pour ce que l’apprenant a à offrir dans ce qu’on lui propose?

3. Droit qu’on donne un sens à ce que j’apprends

Nous souhaitons développer la pensée critique des apprenants. C’est connu. Il faut donc s’attendre à ce qu’ils demandent pourquoi. Pourquoi telle tâche? Pourquoi page 27 ce matin? Ce n’est pas un défi à l’autorité, ça. N’est-ce pas notre responsabilité professionnelle d’être capables de donner un sens à ce qui se passe dans notre établissement? Lorsque l’apprenant sait clairement ce qu’il apprend, pourquoi il l’apprend et comment il va s’en servir, il s’engage naturellement dans son apprentissage. Pourquoi? Parce que ça a du sens.

4. Droit d’avoir des objectifs personnels

La transformation de l’éducation passe par la personnalisation de l’éducation. C’est mon humble avis. Lorsque nous faisons une place pour les objectifs personnels des apprenants, nous personnalisons l’éducation. Avoir des objectifs personnels signifie qu’on se compare à soi-même, pas aux autres. Avoir des objectifs personnels permet à l’apprenant d’accepter graduellement la responsabilité de son devenir. Ça, c’est big. Ça veut aussi dire que ça dépasse la matière ou le programme. J’ai souvent entendu l’expression «Faire éclater les murs de l’école». Pour s’ouvrir sur le monde. C’est fantastique. Mais je pense qu’on fait éclater les murs de l’école lorsqu’on fait une place pour autre chose que ce qui se trouve au programme. On fait éclater les murs de l’école lorsqu’on y fait une place pour l’apprenant en devenir et la vraie vie, avec tout ce que ça implique.

5. Droit d’être rendu là où je suis rendu

Cet hiver, je discutais avec notre très chère collaboratrice Stéphanie Dionne de l’École branchée. Elle me racontait que son fils avait un exposé oral ou une vidéo à produire (j’oublie la tâche spécifique) et qu’elle souhaitait l’aider. À un moment donné, son fils lui aurait dit  quelque chose comme : « Maman, toi t’es rendue au niveau 400. Moi je suis au niveau 4. Laisse-moi donc vivre mon niveau 4! » Elle et moi avons trouvé ça fantastique. Cet exemple est tellement pertinent actuellement en éducation. Les chances sont que les apprenants qui nous sont confiés cette année soient, eux aussi, rendus là où ils sont rendus. Et ce n’est probablement pas aligné avec la progression des apprentissages habituelle. Mais ils sont là où ils sont. La question à se poser : « Auront-ils le droit d’être rendus là où ils sont rendus? ». La réponse viendra du regard, de la bouche et des actions des adultes autour d’eux.

6. Droit de vivre des émotions

Certains l’oublient parfois, mais les enfants sont… des enfants. Ils vivent des émotions, comme nous d’ailleurs. Or ont-ils le droit de vivre des émotions? Qu’est-ce qui se produit lorsqu’un apprenant vit des émotions fortes et qu’il manifeste des comportements qu’on pourrait qualifier d’inacceptables? Comment est-ce une occasion d’apprentissage pour tous lorsque cela se produit? Dans Permission to Feel, Mark Brackett affirme qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les apprenants s’auto-régulent si on ne leur enseigne pas à reconnaître, à comprendre, à nommer, à exprimer et à gérer leurs émotions. Les émotions font partie de l’expérience humaine et donc, de l’expérience d’apprentissage.

7. Droit d’échouer temporairement

Les système d’éducation a à coeur la réussite de tous les apprenants, et c’est tant mieux. Or parfois, certains ont l’impression que les apprenants n’ont plus le droit d’échouer. Et ça mène à toutes sortes de pratiques. Si la réussite n’est pas permanente, l’échec ne l’est pas non plus. L’échec n’est pas final. À moins qu’on le traite comme ça. L’échec est en fait un excellent enseignant. Il nous permet de dire « pas encore ». Il nous permet de constater qu’il reste de l’apprentissage à faire. Certains diront : «Oui mais Marius, il y a des échéances et des exigences systémiques…». Oui. Il y en a. Ce sont les limites du jeu. On ne peut pas faire semblant qu’il n’y en a pas. Et à l’intérieur de ces limites, il y a des limites bien arbitraires qui sont ajoutées qui font en sorte que QUAND l’apprenant apprend est plus important que SI il apprend. Comme le quiz du vendredi. Tous les vendredis… Changement de paradigme… Le possible se trouve là. Comment l’échec pourrait-il devenir temporaire dans votre milieu?

8. Droit de me relever

Si l’échec devient temporaire, c’est que l’apprenant doit se relever. Ce n’est pas une option. C’est le contrat d’engagement. Accepter l’échec temporaire, c’est choisir de placer l’apprenant au centre de son apprentissage. C’est vivre pleinement le « Ici, on apprend! ». Vous voulez augmenter le taux de réussite dans votre milieu? Permettez aux apprenants de se relever! Apprendre à se relever, c’est apprendre à accueillir son pouvoir d’action dans sa propre vie. Je me demande combien d’apprenants vont avoir la chance d’apprendre à se relever cette année, une année où le réflexe systémique va vouloir réduire les écarts?

9. Droit qu’on m’aide à voir le lien entre mes efforts et les résultats que j’obtiens

Si nous choisissions vraiment l’apprentissage, nous pourrions amener les apprenants à voir le lien entre leurs efforts, les stratégies qu’ils utilisent (efficacité) et les résultats qu’ils obtiennent. C’est un peu la morale de La Cigale et La Fourmi. Combien d’apprenants ne comprennent pas comment ça fonctionne l’apprentissage ou la réussite scolaire? Certains croient même ceci : bonne note = mon prof m’aime; pas bonne note = mon prof ne m’aime pas. Wow. Imaginez le sentiment d’autonomie ou d’efficacité personnelle de l’apprenant lorsqu’il comprend ce qu’il peut et doit faire pour apprendre. Ce n’est plus une question de chance mais une méthode bien précise qui est transférable à de nouveaux contextes. Liberté dites-vous?

10. Droit à une expérience d’apprentissage signifiante et stimulante

Pour inclure l’apprentissage, l’apprenant doit être engagé. La pertinence de la tâche aux yeux de l’apprenant influence beaucoup son niveau d’engagement, et donc, l’étendue de son apprentissage. « Est-ce que la tâche vaut mon temps et mon énergie? », pense-t-il. Les apprenants qui nous sont confiés sont de passage dans nos établissements. Les expériences d’apprentissage auxquelles ils seront exposés les aideront à prendre connaissance du monde qui les entoure (programme) mais aussi du monde qu’ils portent en eux (personnalisation). Au bout du compte, le but de l’éducation est d’amener les apprenants à se réaliser, à trouver leur place dans la société et à y contribuer, à leur façon. Pour y arriver, il importe d’inclure l’apprentissage pour tous. À quoi pourraient ressembler les expériences d’apprentissage des apprenants qui vous sont confiés cette année?

Imaginez, si tous les apprenants avaient ces droits dans nos établissements.

Imaginez ce qui se passerait si ces droits devenaient les principes directeurs de l’école d’aujourd’hui.

On peut espérer avoir une belle année et que les apprenants apprennent… On peut aussi choisir d’inclure l’apprentissage et la créer cette belle année.

Merci de vos commentaires et bonne rentrée!

6 Sep, 2021

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Commentaires

13 Commentaires

  1. André Savard

    Merci Marius, ce qui m’interpelle particulièrement dans cette réflexion porte sur la question des écarts! Un sujet de l’heure que l’on retrouve déjà sur bien des lèvres dans le contexte actuel. Un écart, comme le souligne un collègue mathématicien et pédagogue, « nécessite forcément une comparaison »! Une comparaison par rapport à quoi, à qui? Pourquoi et comment allons-nous observer et manipuler ces écarts qui se sont peut-être cumulés ces dernières années? Notre façon d’analyser, de traiter et d’agir sur ces écarts considérera-t-elle ce droit à se relever, ce droit d’être rendu là ou je suis, le droit d’échouer temporairement? Je crois qu’il s’agit là de questions importantes si nous souhaitons faciliter la réussite scolaire et éducative et favoriser le bien-être des jeunes que nous accompagnerons dans les prochains mois! Notre façon de répondre à ces questions portant sur les écarts se mesurera aussi, peut-être, à notre degré de bien-être comme adulte pédagogue!

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    • Marius Bourgeoys

      Merci pour ton commentaire André. J’aime beaucoup le lien que tu fais entre notre façon de répondre aux questions énoncées et notre bien-être comme pédagogue.

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  2. Sylvie Labrèche

    Ton billet tombe vraiment dans le mille. C’est en quelque sorte un serment 🙂
    Je changerais même l’apprentissage pour tous…pour l’apprentissage pour chacun
    Merci Marius

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    • Marius

      Merci pour ton commentaire, Sylvie. L’apprentissage pour chacun! J’aime ça 🙂

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  3. Raymond Vaillancourt

    Il ne faut pas oublier que pour chaque droit que l’on accorde à quelqu’un, il doit avoir une autre personne qui détient ou doit détenir la responsabilité de donner suite à ce droit ! On devrait avoir une « charte » des droits et responsabilités.

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    • Marius

      J’aime beaucoup l’idée d’une charte des droits et responsabilités. Ça place la relation dans un beau contexte de collaboration et de respect. Merci pour ton commentaire, Raymond 🙂

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  4. Sylvie Pellerin

    Bonjour Marius, j’adhère 100% et en tant que directrice, je vais l’offrir en lecture à mon équipe et on en discutera à la prochaine réunion du personnel.

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    • Marius

      Merci pour ton commentaire, Sylvie. Je te souhaite une belle rentrée avec ton personnel 🙂

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  5. Philippe CINQUEMANI

    Très bel article qui fait une vraie place à la personne dans toute sa singularité, sa valeur, son caractère unique et précieux. Bravo, et merci pour l’espérance dont nous avons TOUS tant besoin.

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    • Marius

      Bien dit : inclure l’apprentissage, c’est faire une vraie place à la personne dans toute sa singularité. Merci pour ton commentaire, Philippe 🙂

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  6. Jean-François Robitaille, enseignant de musique au primaire

    Pour mettre en place cette belle charte des droits de l’apprenant, ça prendrait des conditions d’apprentissage et d’enseignement adéquates… C’est pas dans les conditions actuelles du Québec que l’on va y arriver. Malheureusement, vous nagez en pleine utopie…

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    • Marius

      Je suis bien d’accord que les conditions hors de notre contrôle peuvent toujours être meilleures. Or je suis régulièrement témoin qu’il est possible d’inclure l’apprentissage en toute circonstance. C’est un choix qui se trouve à l’intérieur de la zone de contrôle de tout pédagogue. Je vous souhaite bonne rentrée et bon courage. Merci de votre commentaire 🙂

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