Est-il temps de parler d’évaluation hybride?

Depuis plusieurs années déjà, nous parlons d’enseignement/apprentissage hybride. Des initiatives ministérielles ou systémiques existent pour faciliter cette façon de dispenser l’enseignement, soit une partie en personne et une partie en ligne. Des cours entiers et des modules d’apprentissage sont donc mis à la disposition du personnel enseignant des écoles. Les plateformes et les formats de ces ressources varient selon les conseils scolaires, les provinces et les pays. Or de plus en plus d’enseignants choisissent eux-mêmes leur plateforme infonuagique et créent eux-mêmes la démarche d’enseignement/apprentissage hybride pour, et dans certains cas, avec leurs élèves. C’est une des grandes manifestations du virage au numérique en éducation et c’est extraordinaire de voir la variété des usages techno-réfléchis sur le terrain. J’aborde la question dans ce billet. Mais où veux-tu en venir, Marius?

Je participais cette semaine à une rencontre de leadership avec la grande équipe du CECCE pour réfléchir aux différents moyens de monitorer les progrès dans la transformation de l’expérience d’apprentissage des élèves. La rencontre était animée par le docteur Chris Dede, de l’université Harvard. Il m’a fait grandement réfléchir lorsqu’il a affirmé : « Assessment must advance to support new methods of teaching and learning. » Et plus tard il disait : « Knowledge is situated in a context, not written on the blackboard. » Ce qui m’amène à entretenir l’idée de l’évaluation hybride. Vous me suivez? Continuons la réflexion ensemble.

« Assessment must advance to support new methods of teaching and learning. (…) Knowledge is situated in a context, not written on the blackboard. » Dr. Chris Dede

Des contextes authentiques d’apprentissage

Avec du recul, je crois qu’on peut affirmer que le but de l’enseignement hybride, ce n’est pas de reproduire en ligne le modèle d’enseignement traditionnel. On ne transforme pas l’expérience d’apprentissage des élèves en les invitant à s’engager en ligne dans une démarche d’apprentissage traditionnelle axée sur l’acquisition du savoir, souvent hors contexte (p. ex., des notes de cours), et sur la bonne réponse. Docteur Dede disait (et je paraphrase) que depuis toujours, le discours du monde de l’éducation ressemble à ceci : «Les contenus et matières importantes sont très difficiles à saisir dans la vraie vie. La vraie vie est complexe. Venez à l’école, nous vous enseignerons les différentes matières, une à la fois, hors contexte.» Or les contenus qu’on enseigne sont utiles seulement dans le contexte de la vraie vie, dans leur contexte d’origine. La transformation de l’expérience d’apprentissage de l’élève nous invite donc à permettre aux élèves d’apprendre dans des contextes authentiques. On souhaite qu’ils soient en immersion dans les contextes où les contenus prennent tout leur sens. À l’école, en ligne et dans la vraie vie. C’est pourquoi nous remarquons un intérêt croissant du terrain dans les espaces maker, la robotique, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, pour ne donner que quelques exemples. Ce sont des façons de «sortir du manuel» et d’entrer dans des contextes authentiques. Alors si l’enseignement devient de plus en plus hybride, si les élèves apprennent en salle de classe mais aussi dans des espaces numériques, quel devrait être l’impact sur notre façon d’évaluer les élèves?

Enseignement hybride. Évaluation hybride?

Les élèves ne viennent plus à l’école uniquement pour du contenu. Ils viennent à l’école pour développer des compétences, pour développer qui ils sont. On le dit depuis quelques années. On le sait! Mais on évalue tout ça comment, des compétences? Pour savoir si un joueur de hockey est talentueux, on l’évalue en situation de jeu, lors d’un match. Contexte authentique. Si on veut savoir si notre enfant sait nager, on le place dans la piscine et on lui demande de nager. Contexte authentique. Si on veut savoir si nos élèves connaissent la règle des participes passés employés avec l’auxiliaire être, on leur demande de l’écrire sur un test. Hors contexte. Si on veut savoir s’ils peuvent l’appliquer, on leur demande de composer un texte. Contexte authentique. Si on veut savoir si nos élèves sont organisés, on regarde leur reliure à anneaux, leur pupitre, leur case… et dans une classe où il y a de l’apprentissage hybride, on regarde dans leur espace numérique? On vérifie si les courriels sont lus, classés? On vérifie comment leur Drive est organisé? On vérifie leur agenda? Si le contexte d’enseignement et d’apprentissage est hybride, l’évaluation (et l’enseignement explicite aussi!) doit être hybride également selon moi. Ça a du sens?

Pour développer les HH et les 6C de nos élèves, nous devons les placer dans des contextes authentiques, oui. Mais nous devons également tenir compte de leur progression tant en classe que dans le contexte du numérique. C’est donc dire que pour attribuer E, T, S ou N à chacune des HH sur la première page du bulletin (Je décris les HH et le bulletin scolaire de l’Ontario dans ce billet.), l’enseignant tiendrait compte des critères habituels mais aussi du comportement de l’élève dans le numérique. Enseignement/apprentissage hybride, évaluation hybride. C’est logique, non? Le contexte d’enseignement/apprentissage EST le contexte de l’évaluation.

Expérience d’apprentissage transformée. Évaluation transformée?

« Assessment must advance to support new methods of teaching and learning. », disait Dr Chris Dede. Regardons rapidement le modèle traditionnel. Combien d’enseignants ont déjà vécu la frustration de voir un élève manquer 30, 40 cours dans un semestre et obtenir une note finale de 70% ou plus? Moi, je l’ai vécu souvent. Particulièrement avec des élèves de 11e et de 12e année, performants dans les sports ou les comités.

Le modèle traditionnel

Le modèle traditionnel servait à transmettre des connaissances. Manquer un cours équivalait à manquer des notes. Si l’élève reprend ses notes et les comprend, il n’a rien manqué alors… Et ça explique aussi pourquoi la gestion de l’assiduité devient de plus en plus difficile dans le modèle traditionnel, selon moi. Le modèle traditionnel demandait de prendre des notes, de les mémoriser et de performer 5 à 10 fois pendant un semestre. Souvent hors contexte. Le rôle de l’enseignant ressemblait drôlement à celui d’un juge. Quand les élèves comprennent la « game » de l’école, comme le dirait mon collègue @zecool

On pourrait donc résumer le modèle traditionnel comme ceci : Apprentissage hors contexte, évaluations hors contexte, performances ponctuelles.

Le modèle transformé

Le modèle transformé place l’élève au centre de son apprentissage. Ouf! on l’entend souvent, cette expression. Ça veut dire quoi au juste? Dit simplement (il faudrait une série de billets pour m’aider à réfléchir à tout ce que ça prend mais bon), je crois que ça se produit quand l’élève s’investit dans une activité d’apprentissage (en personne ou en virtuel) qui lui demande toute son attention et un effort intellectuel soutenu, et ce , en contexte authentique. Et tant mieux s’il aime ça. Le but est qu’il développe des compétences cognitives, interpersonnelles, intrapersonnelles, numériques… La croissance, ce n’est pas ponctuel, c’est intentionnel et fait au quotidien. Dans le modèle transformé, manquer un cours, c’est comme manquer un entraînement. Ça ne se reprend pas.  Manquer un cours, c’est prendre du retard dans le développement de ses compétences. Pas la même « game », n’est-ce pas M. Cool? 🙂

«Dans le modèle transformé, manquer un cours, c’est comme manquer un entraînement. Ça ne se reprend pas. Manquer un cours, c’est prendre du retard dans le développement de ses compétences. Pas la même « game »» @bourmu

Le rôle de l’enseignant

Le modèle transformé place l’élève au centre de son apprentissage, oui, mais qu’en est-il de l’enseignant? Le rôle de l’enseignant, et c’est là la grande difficulté, est de guider tous ses élèves dans une démarche d’apprentissage. Un peu comme le ferait un entraîneur personnel. Mais comment s’y prendre pour faire ça? Pour livrer du contenu, le prof se place devant ses 30 élèves, et il livre le contenu. Pour développer les compétences de ses élèves, le prof… Pas sûr. Pas clair. Pas évident de concevoir une démarche d’enseignement/apprentissage dans un modèle que l’on n’a pas connu. Les enseignants d’éducation physique, d’arts et de technologie peuvent grandement nous aider ici je crois. Dans ce modèle, le rôle de l’enseignant est d’être un guide la plupart du temps et de documenter, avec les élèves, des preuves de réflexion, d’apprentissage, et de créer du contenu pour contribuer au monde, à la communauté. L’évaluation des progrès est quotidienne. La place de l’évaluation sommative traditionnelle, hors contexte, a de moins en moins sa place. Non? À quoi sert ou à quoi ressemble une évaluation sommative dans ce modèle transformé? J’aurais tendance à fixer des moments où l’enseignant doit prendre du recul face à la documentation pédagogique, à ses observations et conversations avec l’élève et à consigner une note ou un indicateur de progression, pour jouer son rôle de juge et bien répondre aux exigences du système, qui nous demande de mesurer la performance de nos élèves. Ce que je veux dire c’est, est-ce qu’on a encore besoin de tests hors contexte et ponctuels pour mesurer ce que l’élève peut faire un jour donné? Ou doit-on davantage attribuer une note ou un indicateur qui mesure la progression ou le niveau de compétence «habituel ou quotidien» d’un élève? Je me questionne.

On pourrait donc résumer le modèle transformé comme ceci : Apprentissage en contexte, soutien continu, progression continue, évaluations ponctuelles du processus et de la progression, établissement d’objectifs personnels. Ça ressemble drôlement à Faire croître le succès ça…

Quoi qu’il en soit, si on revoit notre démarche d’enseignement/apprentissage, on doit forcément revoir notre façon de soutenir l’apprentissage et notre façon de mesurer et d’évaluer l’apprentissage. Enseignement hybride : Évaluation hybride. Développement de compétences : rétroaction utile et soutien affectif.

À mon avis et à la lumière du message du docteur Dede cette semaine, nous devrons développer notre capacité à évaluer et à mesurer les choses qui ont de l’impact sur la transformation mais qui sont abstraites comme l’engagement, la métacognition, l’autoefficacité et le leadership. Dans la transformation de l’expérience d’apprentissage de l’élève, les choses les plus importantes sont difficiles à mesurer. Est-il temps de parler d’évaluation hybride? Je réfléchis.

Merci de vos commentaires!

 

 

 

 

 

 

5 Mar, 2017

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Commentaires

13 Commentaires

  1. Renée Cyr

    Propos intéressants et pertinents, il faut vraiment repenser notre système d’éducation, mais il ne faut pas tout balayer et se lancer tête perdue dans le monde numérique. Il faut trouver un équilibre. Aucune méthode n’est parfaite, je crois qu’il est important de varier et d’offrir plusieurs voies sans renier toutes les autres qui conviennent encore à un genre d’élève. Certaines études tentent de démontrer les effets négatifs de la sur utilisation de la technologie dans la vie en général et on cherche à trouver une équilibre entre notre vie numérique et la vraie, celle dans laquelle nous vivons pour vrai. Merci pour la réflexion.

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  2. Nicole Stogaitis

    « Manquer un cours, c’est prendre du retard dans le développement de ses compétences. »

    Dans ma salle de classe qui mise sur l’apprentissage actif et la ludification, je constate que les murs de notre salle de classe sont tombés. Pratiquement toutes les tâches d’apprentissage peuvent être accomplies à l’école où à la maison. Donc dans notre cas, manquer un cours n’apporte pas de retard nécessairement ?

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  3. Jonathan Tolsma

    Cela me fait beaucoup réfléchir sur comment aborder mon enseignement et appliquer des nouvelles façons de créer des tâches plus authentiques et évaluer différemment. Surtout dans mes cours de Français. Merci Marius!

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  4. Nathalie D'Amato (@nathaliedamato)

    Merci pour ta réflexion! Je me pose un peu les mêmes questions depuis un bout de temps. Via les enseignants que j’accompagne, je constate le souci qu’ils ont de créer des contextes d’apprentissage authentiques pour leurs élèves afin de leur permettre de développer des compétences du 21e siècle. Cependant, à plusieurs reprises, ces mêmes enseignants (et moi aussi) se posent souvent la même question: «Qu’est-ce que j’évalue exactement et à quel moment?». Pour le contenu académique, le «quoi évaluer», ça va. Mais qu’en est-il des compétences à développer et des processus utilisés par les élèves? Qu’est-ce que j’évalue exactement? Quels sont mes critères (qualitatifs)? L’évaluation sommative a-t-elle vraiment sa place quand on parle de processus? Comment vais-je recueillir mes preuves d’apprentissage? Toutes ces questions sont tellement légitimes! Je continue de réfléchir là-dessus avec mes collègues..Mais une piste…la valeur, la fréquence et la façon d’offrir la rétroaction à l’élève est à creuser…

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    • Marius

      Tu amènes plusieurs bonnes questions, Nathalie. En effet, on constate que l’évaluation devient plus complexe quand on évalue les élèves dans un contexte authentique. Ça explique peut-être pourquoi le modèle traditionnel (décontextualisé) soutient une culture d’évaluation. Dans nos efforts de transformer nos façons de faire, notre nouveau modèle soutient davantage l’apprentissage et le développement des compétences. Quelle est la fonction de l’évaluation dans un tel contexte? Sur quoi veut-on mettre l’accent? On n’a pas fini de se questionner. Et c’est passionnant. Merci de ton commentaire.

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  5. sstasse

    Réflexion intéressante, reste que l’Ontario a aussi recourt à des épreuves « ministérielles » dites à « grande échelle », par contre, une seule de ces épreuves sert officiellement de sanction. Reste que les résultats sont utilisés (ou détournés) pour le classement des écoles comme au Québec. On mélange très souvent évaluation et sanction et le terme « assessment » ne peut être traduit que par « évaluation » : http://www.erudit.org/fr/revues/mee/2009-v32-n2-n2/1024956ar/ . À ce sujet, une réflexion pour cadrer les deux concepts 😉 http://www.sebastienstasse.com/?p=986 . Je n’ai jamais entendu parlé du concept d’évaluation hybride … serait-ce le sujet de ta prochaine thèse ou d’un mémoire ? 😉 Salutations
    Sébastien

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    • Marius

      Tu as bien raison, Sébastien. Le terme «assessment» nous permettrait de nuancer et d’éclairer nos interventions. Merci pour les liens 🙂
      En ce qui concerne l’évaluation hybride, je n’ai jamais entendu parler de ça moi non-plus. Ça m’est venu cette semaine. C’est plutôt une façon de stimuler la réflexion sur nos pratiques. Une thèse? Pas sûr 😉 Merci de tes commentaires

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  6. fbrazeau

    Excellent billet, mais ouf! Quelle question!
    Dans l’idéal, ces compétences du 21e siècle, qu’on les appelle les HH ou, comme chez nous au Québec, les compétences transversales, doivent être mises de l’avant dans nos curriculums. C’est ce que commande le monde du travail de demain. Par ailleurs, de réels progrès et de belles avancées ont définitivement été réalisés dans les dernières années, particulièrement en ce qui a trait aux situations d’apprentissages proposées aux élèves. Pas de doute qu’elles sont maintenant signifiantes, complexes, mobilisantes et motivantes. Cela dit, je crois que les connaissances auront toujours une place dans la démarche d’apprentissage proposée par les enseignants. Le défi demeure de trouver un équilibre entre le modèle traditionnel et modèle le transformé. Je ne crois pas qu’il y ait un modèle unique, surtout si on prône la différenciation pédagogique…

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    • Marius

      Je suis bien d’accord avec toi, Frédéric. Les choses qui comptent, comme les compétences transversales, sont difficiles à enseigner et encore plus difficiles à mesurer. Merci de ton commentaire

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  7. jacquestaillefer71

    Il faudra également réfléchir à comment faire valoir cette méthode aux élèves de l’ancienne méthode, les parents. Combien de fois ai-je passé du temps sur les HH lors d’une soirée de parents, pour me faire demander « d’accord… et sa note? ».

    Réponse
    • Marius

      Bon point, Jacques. Graduellement. Il faut impliquer tous les acteurs dans la conversation. Merci de ton commentaire

      Réponse
    • Mélanie

      En effet, souvent lorsque je propose des tâches authentiques, surtout au niveau pré-U, les élèves ont peur et ne savent plus où se retrouver et que faire parce qu’ils ont tellement été habitués aux feuilles de route et aux critères d’évaluation basés sur des contenus d’apprentissage très spécifiques… traditionnels quoi! Je me questionne aussi… presque tout le temps d’ailleurs…

      Réponse
      • Marius

        On va y arriver, tranquillement. Se questionner est la clé je crois. Merci de ton commentaire, Mélanie 🙂

        Réponse

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  1. Des signes qui ne mentent pas… | Pédago 21 - […] Et ça amène toutes sortes de questions. Comment évaluer des compétences? Et comme abordé dans Est-il temps de parler…

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